Après deux années d’une crise sanitaire qui a fermé les frontières et limité la venue des acheteurs américains ou asiatiques, les investisseurs étrangers en France vont-ils maintenant être effrayés par la guerre en Ukraine ? « Même si la guerre ne se situe pas en France, pour un public américain, elle est à trois heures d’avion de Paris ce qui peut sembler proche », indique Sophie Desmazières, fondatrice d’Homanie, un site de location de maisons de luxe.
Outre la disparition de la clientèle russe, le reste de la clientèle internationale pourrait également se faire plus rare. « Nous avons eu quelques annulations de locations haut de gamme à l’année pour des expatriés qui devaient s’installer en France. Le projet est un peu reporté en attendant de voir comment évolue la situation », confie Olivier Duverdier, fondateur de la plate-forme Kaliz, spécialiste de la gestion locative.
Les zones géographiques concernées par le marché haut de gamme sont essentiellement Paris et sa proche banlieue ouest, la Côte d’Azur et les stations de sport d’hiver des Alpes comme Courchevel, Méribel, Val-d’Isère. « La clientèle russe est même essentiellement concentrée dans la station Courchevel 1 850 », précise Charles-Antoine Sialelli, responsable du marché des Alpes pour Athena Advisers. Et sur la Côte d’Azur, c’est avant tout Saint-Tropez qui était prisé par la clientèle russe.
Gel des avoirs immobiliers
Dans ces secteurs, les agents immobiliers sont dans l’expectative : « Les nouvelles règles sont un peu floues : nous ne savons pas exactement comment se traduiront les sanctions prévues pour la clientèle russe, si ces derniers pourront venir en France et comment va passer le gel de leurs avoirs immobiliers si cela se produit », s’interroge Heathcliff Zingraf, directeur associé du groupe Michaël Zingraf-Christie’s, qui commercialise des villas sur la Côte d’Azur et dont environ 10 % de la clientèle est russe.
L’agence Barnes estime pour sa part que la clientèle russe pèse moins de 0,5 % de ses transactions, soit sept à huit transactions par an dans le segment des biens immobiliers de plus de cinq millions d’euros. La crise ne devrait donc pas l’affecter de façon importante. « Attention quand même, nous ne savons pas de quoi l’avenir est fait, et si la situation internationale s’aggravait, la situation serait alors très différente », prévient Marc Foujols, responsable éponyme d’une agence spécialisée dans le marché de luxe.
En réalité, le secteur du haut de gamme s’était déjà préparé à cette situation depuis quelques années : « C’est depuis 2014, à la suite de l’invasion de la Crimée et des premières sanctions qui ont fait baisser la valeur du rouble, que les Russes se sont peu à peu retirés du marché. Cette clientèle a été remplacée par les Français, ainsi que par des Européens ou des acheteurs originaires du Moyen-Orient », indique Sébastien Kuperfis directeur général de Junot Immobilier.
Depuis 2020, le Covid-19, qui a limité la possibilité de voyager pour les Américains et les Asiatiques, a renforcé cette tendance. « L’immobilier haut de gamme devrait continuer à trouver preneur d’autant que, face à la volatilité des Bourses, l’immobilier reste une valeur refuge qui permet d’absorber des sommes importantes », estime Thierry Vignal, fondateur de Masteos, spécialiste dans l’investissement locatif.
Peu exposé
De manière générale, qu’il s’agisse du haut de gamme ou du reste des biens immobiliers à vendre, le marché immobilier français est peu exposé aux acheteurs étrangers. Une étude du Conseil supérieur du notariat rendue publique le 21 mars 2022 indique ainsi que la part du marché des non-résidents en France métropolitaine continue de diminuer et se situe à son plus bas niveau depuis ces dix dernières années : 1,3 % des acquéreurs sont étrangers en 2020 contre 1,7 % en 2010.
Dans des secteurs prisés comme la Provence, la Côte d’Azur et la Corse, 3,1 % des achats étaient réalisés par des étrangers non résidents en 2020 contre 3,8 % en 2019. Dans les Alpes et en Ile-de-France, les baisses annuelles sont équivalentes à celles enregistrées sur l’ensemble de la France à − 0,2 point avec respectivement 1,6 % et 0,7 % des achats en 2020. Les étrangers qui achètent le plus en France sont les Britanniques, qui totalisent 22 % des achats même si leur part a baissé à la suite du Brexit. Viennent ensuite les Belges avec 20 % des transactions, puis les Allemands, qui représentent 9 % des acheteurs.
Les acquéreurs étrangers boudent un peu les pôles urbains : 48 % des achats des étrangers non résidents étaient effectués dans les pôles urbains en 2010, la proportion est descendue à 38 % en 2019 et 36 % en 2020. Sur la période 2010 à 2020, la Dordogne, la Creuse, le Alpes-Maritimes et la Haute-Savoie sont les départements les plus recherchés par les étrangers non résidents. Ces secteurs seraient donc les plus concernés en cas d’aggravation de la crise internationale.
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